Parce que ça compte l’aligot.
Flashback. Deux ans plus tôt à mi-parcours de la Sainthé’ je dis à Cédrik qui continue d’avancer, au fond de la vague, une belle entorse à la cheville attrapée au 30ème : « Qu’est ce que tu en dis ? On devrait faire Millau ! ». Mauvais timing, insultes. Ok j’ai pas choisi le bon moment. Mais voilà, la graine est semée. Elle n’a plus qu’à germer. Deux ans.
Quelques séances d’entrainement, au top physiquement. La tête et les idées claires. Serein. Je sais pourquoi je suis là et j’en ai envie.
Nathalie (mon épouse) qui m’a déjà accompagné à vélo contre toutes les dispositions règlementaires sur le marathon de Reims et celui du Mont Saint-Michel, sera mon suiveur. Officielle. Dossard. Ravitos légitimes. Elle est ravie. Dans la course. En vrai. 100 bornes à vélo avec son panier sur le guidon pour porter mes bidons. Je l’aime. Y’a pas de doute la dessus. Pas plus à cette occasion parce qu’elle me supporte. Pas moins, juste comme ça. Je l’aime.
Au départ je rencontre Laurent. « Le Boss » en vrai. Première fois. Bonjour patron. C’est très sympa. On discute et du coup il ne part pas devant. Désolé, je ne me suis pas rendu compte de ça. Je profitais déjà de tout ce que cette course m’avait fait comme promesses : rencontre, aventure humaine, dépense physique, contrôle, plaisir, mental, préparation, préparatifs.
Et puis c’est parti, il est 10 heures du matin. Restent 100 kms. Il fait très beau. Les premières foulées déroulent tranquillement. Pas d’affolement. J’ai décidé de partir en Cyrano : 10 mn de course suivi d’une minute de marche. Et on recommence. Je dois boire aussi à chaque phase de marche. Dès le début.
On traverse le premier village au 7ème km et à la sortie, il y a une haie d’honneur. Les suiveurs ont garé leurs vélos en épi de chaque côté de la chaussée. Il y en a sur près d’un kilomètre. C’est génial. Vivant.
Je retrouve Nathalie. C’est top. Il fait beau mais je vous l’ai déjà dit. Ce sera comme ça toute la journée. Soleil et grand ciel bleu. Pas de vent.
Les kilomètres s’enchainent. Pas de routine. Du plaisir. La première partie du parcours est une boucle pour faire le marathon. Aveyron et Lozère, les paysages sont superbes et le parcours varié et roulant. Idéal pour entrer dans l’épreuve.
La route est coupée à la circulation. Quel confort. Au passage du semi une petit bosse se franchit par quelques lacets, j’adore.
Cédrik n’est pas de la partie. Je sais qu’il nous surveille de loin. Petit coup de fil, c’est bon de partager avec son pote.
Retour vers Millau, facile. Le marathon est fait. Les jambes continuent de dérouler sans peine. Dans la tête c’est curieux. Je m’étais dit que la course commencerait vraiment à partir du passage du marathon mais dans la tête, finir le marathon c’est finir la course habituellement. Il me faudra quelques bornes pour me « remettre dedans ». Sortie de Millau, maintenant il s’agit de faire l’aller retour par Saint-Affrique. Ca démarre par une sacré montée qui nous emmène sous le Viaduc. C’est mythique, c’est beau. On a le soleil juste en face, il fait chaud et c’est magnifique. Tout va bien.
Autour du 60ème, on croise le premier. Il a 25 bornes d’avance sur nous. Respect. D’autant qu’on continue d’avancer et que le deuxième n’est toujours pas là. Quelle avance !
Quelques kilomètres plus loin on croise Laurent, j’ai pas compté mais il est dans les 15 premiers. Whaou !
Montées, descentes, le parcours laisse peu de répis mais on ne s’ennuie jamais. Passage à Saint-Affrique, une soupe, demi-tour. A partir de maintenant on croise ceux qui nous suivent. Ils nous félicitent, on les encourage. Belle journée et bel esprit. Jamais vu ça sur le bitume. Mêmes bosses, mêmes descentes mais dans l’autre sens.
Les étoiles se lèvent et nous guident. On savoure chaque instant. On partage chaque moment. Tout va bien. On remonte vers le nord. La nuit tombe doucement. L’ouest sauvage est sur notre gauche. Au 82ème je tombe dans une embuscade : Indiens ? Cowboys ? Une flèche ou une balle ? Je ne saurai jamais mais je suis touché au genou. Douleur immédiate, fulgurante, qu’il faudra gérer ensuite.
Petit conseil : ne prenez ni balle, ni flèche. Ça fait mal !
82 bornes sur un nuage. Extraordinaire. Mais là, j’ai mal. Coup de fil à Cédrik. Soutien, encouragements et le temps passe, comme les kilomètres.
On continue après massage et glaçage. La kiné me trouve bonne mine. C’est sympa et réconfortant. Même si j’ai mal. J’essaie de courir mais ça veut pas. Tant pis, il reste 18 km puis 17 puis… Je compte, je râle, je recompte. En gros il me reste 50000 pas à faire pour franchir la ligne. J’espère encore arriver le jour du départ, avant minuit, tout simplement.
Panneau 90 km. Photo, sourire. Qu’est ce que c’est 10 km ? On continue. Nathalie est bienveillante. Merci.
Coup de fil à Cédrik. C’est comme si t’étais là. Merci mon ami.
Je vais doucement mais j’avance.
Je calcule, je recompte. Pour minuit ça ne passe plus. Ca ne passera pas.
On continue et on repasse sous le Viaduc. Il est éclairé et c’est magique. Millau est en bas. Les lumières de la ville nous appellent. On arrive. Nathalie pose son vélo et on passe la ligne ensemble. Contents. 14H09. On est déjà demain. On est 100 bornards. On l’a fait.
Coup de fil à Cédrik. Si on ne partage pas, ça ne compte pas.
Demain c’est aligot ! Ça compte l’aligot.
A qui le tour ?