2 potes pour 13, 49 kilomètres. C’est sympa.
OK, je vous vois venir : « Y’a pas de quoi en faire toute une histoire non plus ».
Fin 2013, flashback, l’un dit à l’autre, comme ça, au détour d’un chemin, pendant le footing du dimanche matin :
– Et si on faisait la Saintélyon ?
- .. Non !
- Ok, on en reparle plus tard alors.
Et puis on n’en parle plus du tout.
Jusqu’à un beau jour de mai. SMS : « J’ai repensé à ton idée de faire la Saintélyon. J’suis partant pour 2015 »
Je décroche le téléphone : « C’est cool, on y va. Mais pas en 2015, on fait ça cette année ! »
Voilà comment démarrent 13,49 kilomètres.
13,49 kilomètres d’entrainement pour chacun des 72 kilomètres de la course qui nous attend.
Pour ma part, j’ai déjà fait des 10 kms sur route, semi-marathons, marathon, trails jusqu’à 35 kms, triathlons sprint et distance olympique. Je me suis entrainé en club : fractionné sur piste, test de VMA, etc… et pour finir, grosse blessure au tendon d’Achille juste avant mes 40 ans. La claque. Du coup, kiné, kiné, kiné et prise de recul. J’oublie les chronos, les perfs et les compèts. Je suis contraint de « grandir », urgentiste, médecin du sport et kiné m’ont mis en garde, si je reprends pareil, ça va lâcher. Je change mon fusil d’épaule. Je parcours tous les chemins et sentiers autour de chez moi sans chrono. Just have fun ! Et j’ai envie de passer de plus vite à plus long.
Mon pote, il court en club, en bave sur 10 kms et n’a jamais fait plus de 15 bornes. Ca semble bien parti. On a 6 mois devant nous.
6 mois de préparation, presque 1000 kms de trail, quelques courses (semi-marathon, trail de 22 et 33 kms), de 3 à 7 séances par semaines et toujours le plaisir de se retrouver, de partir courir ensemble, de partager le simple plaisir de courir. On ne se ménage pas mais on part du principe que notre moteur c’est le plaisir.
On court de jour, de nuit. On croise des chiens furibards. On a la frousse de notre vie quand un cerf brame comme un âne juste à coté de nous à 2h du matin et qu’on n’avait rien vu venir. On court le matin et le soir. On essaie même deux séances dans la même journée. Pour voir. Et c’est sympa. On fait un peu de vélo et de VTT pour se changer les idées et même un raid multi-sport pour se tester sur la durée. 6h30 d’efforts qui se passent bien, c’est bon pour le moral.
On s’interroge, on s’équipe, chaussures, sac d’hydratation, alimentation… On teste toutes les configurations et on valide les options.
Les semaines passent, les séances s’accumulent (presque 90 en tout) et l’échéance approche. Trois semaines avant la course, c’est une grosse dose cette semaine : 7 séances et plus de 100 kms dans les pattes. Bonnes sensations mais nervosité. Il faut y aller maintenant. Ca tourne à l’obsession. Qu’on en finisse !
A Lyon, retrait des dossards : facile, navette pour Saint-Etienne, serrés comme des sardine, Pasta-Party, bof, hall du palais des expos, frisquet. On s’installe et on patiente. Départ dans 4 heures.
Le flot des coureurs est impressionnant. On ne dort pas, on attend. Et puis minuit approche, l’heure de vérité, la délivrance.
C’est parti cette fois. Il fait froid mais pas trop, il fait nuit mais c’est normal et puis on était prévenu, il ne pleut plus, c’est bien. Le départ est donné, on s’élance en se souhaitant bon courage et beaucoup de plaisir. Les 6 premiers kilomètres passent vite, on court à plat sur le macadam. On attend la boue promise dès la première montée.
On n’est pas déçu, de la boue il y en a. Plein. Assez pour tout le monde je vous assure, thalasso comprise dans le prix de l’inscription ! Ca ne colle pas mais ça glisse fort. Les frontales redoublent d’effort pour nous faire traverser la nuit. On est confiant.
Premier ravito, on zappe, c’était prévu comme ça et ça tombe bien vu l’affluence. Arrivée à Ste Catherine (26ème km) en un peu plus de 4 heures, aïe !, pas facile à encaisser. Il est 4 heures du mat’ et il nous reste presque 50 bornes à faire. La suite sera pire. Les 10 kms suivants sont avalés en 2 heures. A ce rythme ça s’appelle encore de la course à pieds ? J’ai des doutes. Montées, descentes, on continue, la fatigue est là, la nuit déroule son frais manteau sur nos épaules, une souche masquées par la boue fait un vilain croche-patte à mon pote. Souche 1 : Cédrik 0, entorse de la cheville. On est au 35ème km, au milieu des bois, enfin sans doute parce qu’en vérité on ne sait plus très bien où on est. On continue. Il serre les dents jusqu’au ravito suivant. Impressionnant. Je me dis qu’à sa place, je n’en serais sans doute pas capable. Je le connais, il est dur au mal, mais là, chapeau !
Pour lui changer les idées je parle sans cesse, je raconte n’importe quoi, pour qu’il pense à autre chose. J’évoque les 100 kms de Millau et je reçois une volée d’insultes. C’était pas le bon timing on dirait ! Faudra que je remette le couvert une autre fois je pense.
Poste de secours, il est presque 6h du matin. Le médecin confirme l’entorse et déconseille de repartir. Normal, il fait son boulot.
Un infirmier, devant l’insistance et la volonté de mon pote, cède et fait un strapping bien serré.
On continue et on repart. On ne vise plus l’arrivée mais le ravito suivant. Pour voir…
Après cet « arrêt au stand » j’ai froid et le moral dans les chaussettes :
« J’en ai marre, j’sais pas ce que fous là, bla-bli,bla-bla… » Un comble, ce n’est pas moi le blessé mais je râle quand même. « Si tu peux pas voler, cours. Si tu peux pas courir, marche. Si tu peux pas marcher, rampe, mais avance » qu’il me balance. « Et puis prends du sucre ».
Pas de discussion possible, je m’exécute, je mange. Partir à deux çà a du bon, vous pouvez me croire.
2 kms plus loin j’ai retrouvé le sourire, le terrain devient moins technique et le jour approche.
Au dernier ravito, je vérifie : « C’est comment ta cheville ? On continue ? »
Oui, on continue. Ensemble. Cédrik reçoit les encouragements de sa chérie venue nous retrouver à ce point de passage. En plus elle assure derrière l’appareil photos pour emmagasiner de bons souvenirs. Le moral est là. La douleur aussi mais la cheville c’est loin de la tête heureusement.
Un arbre au bord de la route porte un panneau « Arrivée à 25 kms ». Cette fois c’est sûr on va aller au bout.
Ca continue de monter et descendre mais on voit clair. Ca sent le T-Shirt « finisher » !
Les 15 derniers kms ont été un calvaire pour Cédrik et l’arrivée une délivrance. On passe la ligne les bras levés, main dans la main. 11H28. Ce sera le chrono de notre victoire. Loin dans le classement mais ça n’a aucune importance. On tombe dans les bras l’un de l’autre. On l’a fait., sourire, quelques larmes aussi je crois.
13,49 kms d’entrainement pour chaque km du parcours. La Saintélyon a tenu ses promesses. Nous aussi.
Au delà de la distance et de la performance, notre motivation était et reste l’aventure humaine, toutes ces émotions partagées, ça vaut toutes les médailles.
Contents et fiers.
Merci l’ami.
PS : pour Millau ? On en reparle, …, hein ?, on en reparle ? T’es pas fâché ?
Génial ce récit !! Les course comme ça c’est fabuleux, mais à partager avec quelqu’un ça devient carrément extraordinaire !